En septembre 2011, nous découvrons le corps de notre mère, décédée quelques mois plus tôt, dans une émission de télévision.

Aucune autorisation ne nous a été demandée.

Le 6 juin 2011, Ludovic, un de mes frères, rend visite à ma mère et la trouve inanimée à côté de son lit. Il appelle les pompiers qui arrivent accompagnés d’un médecin du SAMU. Ce dernier ne veut pas délivrer le permis d’inhumer et fait intervenir la gendarmerie, donc une médecin légiste. Celle-ci arrive peu après accompagnée d’une personne qu’elle aurait, d’après mon frère, présentée comme son assistante. Une fois l’examen du corps terminé, la maison de ma mère est fermée et mise sous scellés par les gendarmes. Il est environ 18 heures quand mon frère aîné, Jean-Pierre, me téléphone pour m’apprendre la triste nouvelle.

Le 20 septembre 2011, ma belle-sœur me téléphone et me dit d’aller voir une vidéo sur Youtube : un reportage diffusé la veille, « Les médecins légistes mènent l’enquête », circule. Dès les premières images, je reconnais parfaitement la porte cochère de chez mes parents. Nous voyons clairement la médecin légiste rentrer sous le porche, puis le reportage se poursuit dans la chambre de ma mère.

Les images du reportage

Dans le reportage, on voit la façade de la maison ainsi que la chambre de ma mère. Je remarque qu’aucune image n’a été tournée dans la cuisine, pièce dans laquelle se trouvent pourtant mes frères et les gendarmes. Dans la chambre, lors de la première diffusion de l’émission (il y en aura deux autres, le 10 octobre 2011 et le 19 décembre 2011), il n’y a aucun floutage et je reconnais différents objets personnels, bibelots, lampe de chevet et même le chat. Il y a un gros plan sur la main de ma mère qui montre son alliance.

Ces images sont accompagnées de commentaires choquants comme « La vieille dame a peut-être été assassinée ». On assiste à un dialogue entre un gendarme et la médecin légiste qui demande : « Cette personne était-elle aimée dans le village ? Parfois on a tendance à vouloir faire disparaître certaines personnes ». Le gendarme répond qu’il a vu le maire du village qui lui a affirmé que nous étions une famille connue et sans histoire.

A ce moment, la médecin légiste sous-entend que la maison est sale, présente ma mère comme une femme battue et dit qu’elle pense à un crime. De gros plans sont fait sur ses hématomes : ils viennent du port de ses béquilles (car ma mère, très malade, ne peut plus marcher) mais le reportage sous-entend qu’ils sont dus à de la maltraitance. Je pense que le but était surtout de retenir les téléspectateurs devant leur télévision. Qui est cette médecin pour se permettre de telles allégations ? Je suis outré par ces propos et j’estime que la mémoire de ma mère est salie. D’autre part, ce reportage porte atteinte à mes frères et à moi-même.

En effet, suite à la première diffusion, beaucoup de nos proches et simples connaissances ayant reconnu les lieux se sont interrogés sur les circonstances du décès de ma mère. J’ai alors été sollicité à de multiples reprises par téléphone et sur les réseaux sociaux. Et même si les raisons du décès sont révélées dans le reportage (ma mère souffrait d’une leucémie et est morte naturellement), pour beaucoup un doute subsistera.

Les conditions du tournage

Nous n’avons jamais donné d’autorisation pour ce reportage : ni pour le tournage des images (du corps de notre mère et de son domicile), ni pour la diffusion des images. Pour ma part, je n’aurais jamais donné l’autorisation de filmer le corps sans vie de ma mère et il en est de même pour mes frères. Je ne vois pas qui peut donner ce genre d’autorisation : c’est un décès, non un spectacle.

La journaliste qui a filmé les images étaient en fait la supposée assistante de la médecin légiste. A aucun moment, elle n’a dit qu’elle était journaliste et qu’elle enregistrait un reportage. Même les gendarmes, qui eux ont vu la caméra, n’ont pas informé mes frères de ce tournage. Je m’interroge également sur l’absence de contrôle d’identité de cette tierce personne par les gendarmes présents, alors que même certains de mes frères affirment avoir fait l’objet d’une surveillance particulière tout au long des investigations.

Les plaintes

Un de mes frères, après avoir vu le reportage en direct le 19 septembre 2011, a déposé plainte le lendemain même (20 septembre). Pour ma part, j’ai contacté la chaîne le 21 septembre au matin. L’homme que j’ai eu au téléphone m’a lui-même présenté ses excuses et expliqué qu’il n’avait pas vérifié les documents afférents aux autorisations. Le soir même, j’ai été contacté par la journaliste qui avait réalisé le reportage et qui m’a également présenté des excuses. Je lui ai demandé comment elle avait eu les autorisations des familles mais elle n’a jamais répondu et m’a affirmé qu’elle devait contacter son service juridique. Elle m’a recontacté plus tard de jour-là pour me dire qu’elle ne devait plus prendre contact avec moi.

Le 22 septembre, j’ai déposé plainte contre X à la gendarmerie de Saint-Maximin la Sainte-Baume. Les gendarmes avaient eux-mêmes visionné le reportage sur Internet et m’ont dit que c’était inadmissible de diffuser de telles images. Le 3 octobre, j’ai déposé plainte contre X auprès de l’Ordre des médecins qui m’a répondu que, la médecin légiste étant médecin hospitalier, ils ne pouvaient rien faire. Ils m’ont conseillé de me rapprocher du directeur du CHU d’Amiens. Je l’ai fait le 24 octobre en lui adressant une plainte pour atteinte à la vie privée. Dans un courrier du 9 novembre, il m’a alors expliqué que « la chaîne s’était formellement engagée à ce que les personnes apparaissant dans le cadre de ce reportage ne puissent être identifiées aussi bien par l’image que par le commentaire ».

Une très longue procédure

En décembre 2012, voyant que rien n’avance, moi et quatre autres de mes frères avons décidé de prendre un avocat, Maître Stéphane Diboundje. Celui-ci a déposé plainte auprès du procureur de la République d’Amiens le 18 janvier 2012. Depuis cette date, j’ai de nombreuses fois relancé le Procureur de la République et plusieurs articles de presse ont été diffusés dans le Courrier Picard mais rien n’avance. D’autres familles sont concernées par ce reportage. Une a le même avocat que nous et en est au même point.

Lors d’un contact avec le procureur de la République en juillet 2013, celui-ci m’a dit que le dossier se trouvait au commissariat de Puteaux pour les auditions. J’ai pris contact avec ce commissariat mais le dossier restait introuvable et se transmettait apparemment de service en service. Enfin, au bout de deux jours passés au téléphone, je suis entré en contact avec un commandant de police. Il m’a dit qu’il avait le dossier entre les mains et que les auditions allaient commencer.

Quatre mois plus tard, mon avocat avait un rendez-vous avec mes frères et le procureur de la République car le dossier était revenu vide. J’ai repris contact avec le commissariat de Puteaux, sans obtenir de réponse.

La procédure me semble longue, très longue. Cela fait maintenant deux ans et demi que la première plainte a été déposée et aucune sanction n’a été prise à l’encontre de qui que ce soit. Je ressens un sentiment d’abandon par cette justice. Ma famille et moi souhaitons que l’ensemble des responsabilités soient déterminées et ceci dans les plus brefs délais.

Source ma vérité sur