AMIENS – ETOUVIE : Procès de sept personnes pour tentative d’assassinat (requalifiée en tentative de meurtre)

31 octobre 2016

Un homme laissé pour mort,  ils s’étaient trompés de cible

AMIENS – Sept personnes comparaissent dès aujourd’hui devant les assises de la Somme pour avoir voulu régler le compte d’un homme sans histoire, qu’ils avaient pris pour un autre. 


Le soir du 26 juin 2013 devait être un soir comme tant d’autres pour Hossain. Il est 21 h 40, il rentre chez lui, rue Eugène-Varlin, dans le quartier d’Etouvie, à Amiens, en compagnie de son fils âgé de trois ans, qu’il a emmené au jardin ouvrier. Il appuie sur le bouton pour réclamer l’ascenseur et voit surgir deux individus, les visages dissimulés par des masques. Sans un mot, ils se jettent sur lui et le frappent à la tête, armés pour l’un d’un marteau, pour l’autre d’un poing américain. Sous les yeux effrayés de l’enfant, ils s’enfuient par les caves. Les secours interviennent : Hossain est évacué dans un état critique. Les portes et les murs du hall d’entrée sont maculés de sang. Quand la victime peut enfin être entendue, elle déclare que les deux individus se sont acharnés, qu’ils voulaient sa mort. Le médecin légiste a relevé seize plaies sur le crâne !

DEJA UN PROCES POUR TRAFIC DE STUPEFIANTS
Dans ce quartier connu pour abriter des trafics de stupéfiants, on pense immédiatement à un règlement de comptes. Les enquêteurs, pourtant, mettent peu de temps à dédouaner Hossain de toute activité délictuelle. Un indicateur confirme, dès le 1 er juillet, cette impression : l’homme et son fils auraient pâti d’une erreur de cible ! Les deux agresseurs auraient dû régler son compte à un dénommé Mourad, «coupable » d’avoir volé un an plus tôt plusieurs kilos de cannabis et d’héroïne.
L’informateur indique que les dealers amiénois avaient pour l’occasion recruté d’autres trafiquants « blacks » de la région parisienne. Décidément très informé, il donne des noms, des plaques minéralogiques de voitures, et décrit par le menu l’organisation du trafic dans le quartier.
Forts de ces renseignements, les policiers procèdent à un coup de filet le 16 juillet 2013. Les placements en garde à vue seront étalés jusqu’au début de l’année 2014, permettant aux policiers d’enregistrer de précieux échanges téléphoniques entre les mis en cause, qui permettent – ainsi que des traces d’ADN ou de sang – au juge d’instruction de se faire sa religion. Mi-2015, cinq hommes sont mis en examen pour tentative d’assassinat, cinq pour complicité de tentative d’assassinat, trois pour non-dénonciation de crime et un quatorzième pour destruction de preuve.
Certains sont mineurs. La plupart admet, en la minimisant, son implication dans le trafic de stupéfiants mais la majorité nie son implication dans le crime. Quand certains l’admettent, c’est pour mieux se rétracter plus tard.
Au terme d’une instruction tentaculaire, un premier procès se tient pendant deux jours au tribunal correctionnel d’Amiens, les 29 et 30 mars 2016, sur le volet « stupéfiants » de l’affaire. À son terme, neuf hommes sont condamnés à des peines allant de quatre ans ferme à 800 euros d’amende.
Cinq d’entre eux sont renvoyés à partir de ce lundi devant la cour d’assises de la Somme : Adem Yahiaoui, Pedrito Panzu, Grace et Glodi Ngoto, José Lopes-Martins. Deux autres les accompagnent : Sergio Tavares et Jeancy Tsasa. Leur procès durera huit jours, pour s’achever en théorie le soir du 10 novembre (la cour ne siège ni à la Toussaint, ni le week-end).

Même cause, mêmes effets

L’aspect spectaculaire – c’est un euphémisme – des émeutes qui ont marqué la vie récente du quartier d’Amiens-Nord aurait tôt fait de laisser croire à l’observateur extérieur que tous les vices du monde sont concentrés entre Colvert et Pigeonnier… Comme à quelque chose malheur est toujours bon, le procès qui se tient à partir de ce matin devant la cour d’assises de la Somme rappelle qu’Etouvie, autre quartier populaire, vestige des Trente glorieuses, paie aussi son tribut au business de la drogue. Même cause, mêmes effets : des gangs qui tiennent les halls d’immeubles, des nourrices et des guetteurs recrutés sans mal parmi une jeunesse oisive et une grande majorité d’habitants, honnêtes, qui pâtissent au quotidien de la violence des dealers et de la mauvaise réputation du quartier.

Naïvement, on pourrait croire que l’agression dont fut victime, par erreur, Hossain, et la vague d’interpellations qui suivit, ont clos les portes du supermarché de la drogue. Évidemment, non : pas plus tard que le mardi 11 octobre dernier, 70 policiers sont intervenus dans l’immeuble des Coursives. Huit hommes et une femme âgés de 20 à 40 ans, ont été placés en garde à vue. À Amiens encore, on pourrait citer le quartier sud-est (Pierre-Rollin) ou ces petits trafics de cannabis qui essaiment jusqu’aux portes des plus chics établissements scolaires du centre-ville.
Il n’y a pas qu’Amiens ! Le Clos de Roses, à Compiègne, a récemment fait les gros titres pour ses règlements de comptes violents et ses trafics aux volumes XXL, sans parler de Creil ou de zones rurales, dans l’Aisne ou l’Est de la Somme, quand le moindre abri de bus s’érige en mini-plaque tournante, où s’échange l’héroïne achetée 10 euros le gramme en Belgique et revendue le double dans le Santerre…
1er novembre

À la source d’un procès-fleuve

Après l’agression fortuite d’un habitant d’Étouvie en juin 2013, on pouvait s’attendre   à dix jours de procès nerveux, émouvant, parfois cocasse. On a déjà tout eu hier. 

Il est venu accompagné de sa femme et d’un traducteur, tous trois apeurés, que protège leur avocate Me Messaouda Yahiaoui (aucun lien de parenté avec un des détenus !) comme une mère poule.
L’homme agressé par erreur à coups de marteau et de poing américain par des dealers le 26 juin 2013, dans son hall d’immeuble à Étouvie, ne s’en est toujours pas remis, pas plus que son très jeune fils et son épouse, témoins d’une violence inouïe.
Dix jours d’audience, aux assises de la Somme, ce n’est pas si courant. Le procès a donc commencé par un souci de mobilier. Comme il y avait trop d’avocats pour l’espace qui leur est réservé, il fallut ajouter deux tables à chaque bout, qui donnent l’impression que deux défenseurs font du pique-nique quand les autres dînent dans la salle à manger…
C’est tout pour les sourires, car il y eut surtout de la tension, par exemple lors de la semi-douzaine de rappels à l’ordre de Mme Tortel à l’adresse de Me Berriah, aux interventions jugées intempestives.
Dans cette affaire, on compte sept accusés dont un (Tavares) a profité de son placement sous contrôle judiciaire pour prendre la fuite. Un second comparaît libre. Les cinq derniers sont incarcérés, parfois dans le cadre de cette affaire, parfois pour purger une autre condamnation.
Après le tirage au sort des jurés, dont cinq supplémentaires, vu la longueur des débats, la présidente a lu le rapport introductif, résumé de l’ordonnance de mise en accusation, en prévenant bien : « Ce n’est pas ce que je pense, ce sont les conclusions du juge d’instruction » . N’empêche que c’est carré, recoupé par des déclarations, des constatations et des écoutes. Toute une pyramide se dessine, au moins aux yeux de l’accusation : deux commanditaires (Yahiaoui et Panzu), deux exécutants (les frères Ngoto) et trois complices (Lopes-Martins, Tavares et Tatsa). Un seul, Tsatsa, a parlé. Comme balance, il a été agressé en détention puis devant chez lui, après sa libération… Un autre, Glodie Ngoto, a tout avoué avant de se rétracter en cours d’instruction.
D’ABORD LA PERSONNALITÉ DES ACCUSÉS
On n’abordera pas les faits avant mercredi soir au plus tôt. Hier, comme on le fera mercredi, la cour s’est attachée aux personnalités des accusés.
Ils ont de 22 à 26 ans. Leur point commun est le déracinement. Eux ou leurs parents viennent du Zaïre, d’Angola, du Cap-Vert… Certains ont vu lors de guerres civiles ce qu’un enfant – tel celui de la victime ! – ne devrait jamais voir. D’autres, pour le moins, ont connu l’arrivée en terre froide et étrangère, la langue qu’il faut apprendre, les mauvaises plaisanteries à la récré. Adem Yahiaoui est finalement le seul régional de l’étape, né, élevé et… interpellé à Amiens.
Le verdict est attendu le jeudi 10 novembre. La tentative d’assassinat, comme la complicité, sont punies de la réclusion criminelle à perpétuité.
jeudi 3 novembre

Une expertise vous manque et tout est dépleuplé

Un avocat a demandé le renvoi du procès du règlement de compte d’Etouvie, hier. Son client est le seul des sept à n’avoir vu aucun expert.

José Carlos Lopes-Martins est « le grand oublié de ce procès », d’après son défenseur Me Ehora. Depuis lundi, l’audience s’étire d’enquêtes de personnalité en expertises psychologiques et psychiatriques des accusés, à l’exception notable de Lopes-Martins, 23 ans, sur lequel personne ne s’est penché pendant les deux ans d’instruction.

« L’égalité des droits et des armes est un principe fondamental, s’enflamme l’avocat, qui réclame un supplément d’information donc, ipso facto, un renvoi de ce procès fleuve. Mon client n’a pas les mêmes droits que les autres mais il risque la même peine ! Or vous ne saurez pas qui vous jugez… »

« A un moment il faut être sérieux, rétorque l’avocate générale Mme Auguste. Son avocat (ndlr : qui n’était pas Me Ehora) avait tout loisir de faire des demandes pendant l’instruction. Il le pouvait encore avant ce procès. »

Côté défense, Me Stéphane Diboundje tape dur : « Le magistrat instructeur n’a pas fait le travail sérieusement. Le parquet n’a pas vu le problème. C’est un peu facile de tout mettre sur le dos de l’avocat ! »

La cour délibérera, mais un renvoi semble plus qu’improbable. Il s’agira plus surement de « bricoler » une enquête ou une expertise pour sauver les apparences.

Pour le reste, on a vécu hier une journée étrange. La présidente a pris le parti d’examiner les personnalités sans évoquer les faits, ni même connaître la position des accusés (plaident-ils coupable ou non coupable ?)

On tourne donc autour du pot. Le vrai procès commencera – a priori ce jeudi – quand on se demandera enfin comment un brave homme a failli perdre la vie sous les yeux de son petit garçon…

vendredi 4 novembre

La cible à abattre

Pour mieux juger la tentative d’assassinat commise le 26 juin 2013, la cour d’assises a longuement évoqué une autre agression, celle d’octobre 2012.

Les deux ont eu lieu dans le même immeuble d’Etouvie. En juin, le locataire du 2e a été massacré dans le hall. En octobre, c’est Ludovic qui, au 4e, avait vu deux hommes cagoulés débarquer chez lui, armés de deux fusils. « Ils m’ont braqué, cogné, séquestré et attaché au radiateur. J’ai cru que j’allais mourir. Ils réclamaient de l’argent. Un me frappait pendant que l’autre fouillait l’appartement. Ils sont repartis avec un sac. » Sac rempli de cannabis dont Ludovic et son père étaient les nourrices.

Ludovic en est persuadé : Mourad, locataire du 3e,  était un de ces deux hommes et « sans lui, rien ne serait arrivé ». Il ajoute que Mourad n’a pas été inquiété depuis « parce que c’est un informateur de la police ». Et sous-entend, avec d’autres, que si la police fut si bien renseignée, c’est grâce à lui et ses amis.

C’est en effet Mourad qui aurait été visé par l’agression de juin. Hossain, un père de famille sans histoire, n’en aurait été victime que parce qu’il possédait la même voiture que Mourad, vivait dans le même immeuble et avait un fils du même âge.

Hier soir, on a entendu ce gaillard de 36 ans, un homme loquace, intelligent, « droit comme un i quand tous les autres ont peur », comme le note Me Messaouda Yahiaoui.

« Oui, je pense que j’étais visé, parce que la rumeur disait que j’avais envoyé des gars d’Amiens Nord voler la drogue », admet-il. Ensuite, «on m’a dit que la drogue appartenait à Adem Yahiaoui mais que Patou (ndlr : Pedrito Panzu) lui a dit : « Je m’en occupe. T’inquiète pas, j’ai mes soldats » ».

Ni voleur, ni dealer, ni indic : Mourad nie tout, même quand la défense le malmène. Pour les sept accusés, c’est lui, le grand méchant loup.

Il en devient presque utile de rappeler que ce père de famille, salarié, inséré, reste, jusqu’à preuve du contraire, un témoin. Pas un accusé.

Le procès tiendra-t-il en dix jours ?

« Je ne vais pas m’en sortir. Soit on va finir à minuit tous les soirs, soit je vais annuler le prochain procès et on continuera une troisième semaine » : l’aveu est de la présidente Tortel, hier, quand elle a constaté qu’à 13 heures, elle n’avait entendu que deux des sept témoins du jour. Pouvait-elle imaginer de quelle vague d’amnésie était victime le quartier d’Etouvie ? Pouvait-elle concevoir que les policiers avaient, il y a trois ans, trafiqué tous les PV d’auditions des témoins, PV que les dits-témoins ont signé sans les relire ?

Soyons sérieux : pouvait-elle anticiper la peur et la loi du silence, la seule que le quartier respecte à la lettre ? Hier a eu lieu un bal des menteurs, entrecoupé de « j’vous jure » et de « sur la vie d’ma mère ».  Au point qu’un avocat de la défense, Me Bouaou, a fini par lancer à un témoin : « Arrêtez ! Dites la vérité ! Parce que ça produit l’effet inverse… »

Tout est violence dans ce dossier : la première agression, la seconde – celle qui nous occupe – ainsi que la chasse aux balances qui fut lancée quand l’enquête a progressé.

La conséquence, c’est qu’une audition qui devrait prendre un quart d’heure s’étire sur une heure, entre rappel des dépositions de 2013, dénégations de 2016, et questions diverses…

samedi 5 novembre

Les deux frères avouent l’agression

Grace et Glodie Ngoto ont reconnu hier être les auteurs des coups qui ont laissé un homme entre la vie et la mort.

Au matin du quatrième jour, Grace et Glodie Ngoto, 23 et 21 ans, demandent la parole. Voix tremblante, le premier lâche : « Je reconnais. Ça ne me ressemble pas. Je n’ai rien dit par peur d’assumer mes erreurs, je suis dégoûté. J’étais égaré, mais à aucun moment je n’ai eu l’intention de tuer. Je ne peux plus garder ça, je ne peux plus regarder mes proches dans les yeux. Je parle pour la victime ».

« Moi aussi je reconnais. Jamais je n’ai eu l’intention de tuer », enchaîne Glodie, celui qui avait déjà avoué en garde à vue, avant de se rétracter.

Au milieu de l’océan de mensonges dans lequel naviguent les jurés depuis quatre jours, ces déclarations spontanées changent la donne, mais tout n’est pas réglé. Les frères Ngoto refusent en effet d’incriminer les cinq autres accusés. Ils disculpent même formellement Panzu et Yahiaoui, accusés d’être les commanditaires du règlement de compte, et Lopes-Martins, désigné comme le chauffeur. « On savait qu’il y avait des stups et de l’argent dans cet immeuble, j’ai dit à mon frère « viens, on y va tenter notre chance ». Je demande pardon à la victime et à toutes les personnes que j’ai accusées à tort », confesse, en larmes, Glodie.

Les deux seuls qui se revendiquent chrétiens acceptent de porter la croix. Si leurs mots sont parole d’évangile, le procès se conclut par cinq acquittements et deux condamnations pour violences en réunion avec arme, ayant entraîné une infirmité permanente. La peine encourue passe de la perpétuité à quinze ans de réclusion.

Pourtant, ce procès durera encore au moins quatre jours, car d’autres éléments dans le dossier incriminent les sept hommes, et pas seulement ces deux-là. On pense aux précieuses auditions de témoins devant les policiers, quand bien même tous sont venus, tremblants, témoigner devant la cour qu’elles avaient été extorquées. On a encore en tête les aveux de Tsatsa, le guetteur (qui n’a pas encore eu l’occasion de les réitérer devant les jurés) mais aussi des écoutes téléphoniques.

Lundi, les enquêteurs viendront présenter ces charges. La journée s’annonce cruciale. Après les quatre jours sous haute tension que vient de vivre la cour d’assises, un week-end de trêve ne sera pas de trop…

Mardi 8 novembre

L’accusation se précise

La longue déposition du directeur d’enquête a précisé hier lundi les « billes » dont dispose l’accusation.

On attendait un gros morceau, on n’a pas été déçu : la déposition du major de police, directeur d’enquête, a duré quatre heures et demi, hier lundi. La défense l’a longuement interrogé sur la véritable cible du contrat rémunéré 8000 euros : Mourad à la fois accusé d’avoir violemment volé un sac de cannabis à une nourrice, en octobre 2012, et de bénéficier d’une protection policière. Ce vol entre dealers serait le crime originel : le règlement de compte de juin 2013 aurait été commandité par les propriétaires de la drogue et aurait visé Mourad.

Le débat se concentre à ce point à la périphérie du dossier qu’à un moment, Me Yahiaoui, avocate de la partie civile, croit utile de rappeler que c’est bien son client, la victime laissée pour morte sous les yeux de son petit garçon ! Réflexion « non-intelligente », pour son confrère de la défense Me Bouaou, qui s’emportera un peu plus tard quand l’avocate générale évoquera les « manœuvres de la défense ». Ambiance…

Le major ne se démonte pas. Il revient aux faits, ces faits hélas si peu évoqués depuis l’ouverture du procès, lundi dernier… Là, c’est du solide : quand on réécoute les quadruples aveux de Glodie Ngoto – l’un des deux exécutants avec son frère Grace – on réalise que l’ordonnance de mise en accusation n’en est que l’écho. Tout le monde est à sa place : les deux boss, les deux hommes de main, les deux chauffeurs et le guetteur. « Ce sont des aveux complets », estime le directeur d’enquête, qui énumère la liste des témoins qui les ont étayés, quand bien même ils furent parfois anonymes. « Le quartier avait été si choqué par le côté injuste de cette agression que nous avons recueilli davantage de renseignements qu’en temps habituel », se souvient le policier. Pour autant, il n’est pas dupe : « Quand on nous dénonce anonymement un dealer, c’est aussi pour éliminer un concurrent… »

Beaucoup sont revenus sur leurs dépositions, dénonçant des pressions policières. Certains persistent et signent. Vendredi, on a entendu Louis, un jeune homme de bonne famille qui frayait à l’époque avec Glodie : « Ce soir-là, quatre personnes sont venues chez moi. Elles étaient couvertes de sang. Il y avait Glodie, Grace et deux autres hommes », qu’il reconnaît formellement comme Sergio Tavares (l’homme au tatouage en forme de larme sous l’œil, actuellement en cavale) et José Lopes-Martins. « Glodie m’a confirmé que Panzu était au-dessus », ajoute Louis. Le témoignage constant du guetteur, Jeansy Tsatsa, rejoint les aveux de Glodie, tout en impliquant Adem Yahiaoui.

Reste l’intention homicide, celle qui différencie un passage à tabac d’une tentative d’assassinat. Ce sera tout l’enjeu des trois jours qui nous séparent encore du verdict.

mercredi 9 novembre

C’est l’intention qui comptera

L’avocate générale prendra ses réquisitions aujourd’hui mercredi, dans l’affaire du règlement de compte à Etouvie. Le verdict est attendu jeudi soir.

On n’était plus à un revirement près… Hier mardi matin, Tsasa, le guetteur, est revenu sur ses dénégations de la veille : « Je confirme tout ce que j’avais dit en garde à vue », c’est-à-dire l’implication de ses co-accusés. Tout juste exprime-t-il « un doute » sur la présence de Lopes-Martins, dit « Zé », à la réunion préparatoire du crime.

Soit, donc, un accusé qui avoue tout (le guetteur), deux autres qui reconnaissent avoir frappé au marteau et au poing américain (les frères Ngoto), un qui est en cavale (Tavares) et trois qui nient : Pedrito Panzu, Adem Yahiaoui et Lopes-Martins, le chauffeur.

Reste l’intention homicide, qui sera au cœur des débats jusqu’au verdict, car pas d’assassinat sans volonté de tuer.

Pour le major de police entendu lundi, elle ne fait pas de doute : « Toutes les lésions sont sur le crâne, une zone mortelle. Les graves séquelles prouvent la dangerosité de l’agression ». Hossain, la victime, est aussi formel : « Ils voulaient me tuer, j’en suis sûr. Si je n’avais pas arraché le marteau, je ne serais pas là aujourd’hui ».

Les légistes sont partagés. « Ces coups ne pouvaient pas entraîner la mort », affirme l’un. Il a relevé sur la victime « seize plaies contuses du scalp et de la face, qui ont nécessité trente points de suture et vingt-six agrafes ». Son confrère décrit « une extrême violence, voire de l’acharnement » et souligne « qu’un seul coup de poing peut être mortel ; alors si vous ajoutez un outil… » Hossain a échappé au pire : un hématome sous dural. Sa boîte crânienne a résisté. Elle est quatre fois plus solide au sommet du scalp qu’à la tempe. « Mais les agresseurs ont rarement des notions d’anatomie… »

« Jamais on n’a voulu donner la mort », répètent les frères Ngoto. Même quand il a mouillé tout le monde en garde à vue, Glodie a toujours dit que Yahiaoui et Panzu lui avaient bien précisé de « donner une correction mais de ne surtout pas tuer ».

Pour Hossain, ça ne changera pas grand-chose. Cet homme « qui ne sourit jamais » selon son avocate Messaouada Yahiaoui, a traîné sa tristesse de neurasthénique à la barre, hier. Il parle à voix basse, il ne travaille plus, il ne sort plus, il est « mort psychiquement » dit le médecin. Son fils, trois ans le jour de l’agression, ne parle pas. « Quand un adulte s’approche à moins de cinquante centimètres, il crache et donne des coups », pointe la psychiatre. Toute une famille vit dans la peur et le stress post-traumatique depuis trois ans, quatre mois et treize jours.

jeudi 10 novembre  

De quatre à quinze ans requis

« Si la peine est juste, elle pourra être comprise » (M e Diboundje)
Contre les chauffeurs, Sergio Tavares (en cavale) et José Lopes-Martins, le ministère public a réclamé six et quatre ans. Contre le guetteur, Jeancy Tsasa, elle n’a requis que quatre ans dont 18 mois ferme, qu’il a déjà purgés, et s’est expliqué : « Il a toujours assumé, sauf lundi soir, mais il avait reçu des menaces de mort jusque dans cette salle. Il faut reconnaître l’honneur d’un homme. C’est aussi l’honneur de la justice qu’il ne retourne pas en détention, où sa vie serait en danger. » Pour Mme Auguste, l’intention homicide est caractérisée par « l’usage d’armes et le fait de viser une zone vitale ».
Côté défense, on distinguera deux avocats qui ont plaidé l’acquittement : Me Ehora, « au nom du doute » pour José Martins-Lopes et Me Berriah, pour Pedrito Panzu, qui s’est surtout érigée en procureure de Jeancy Tsasa : « C’est un lâche, un menteur, le pire de tous. Sa mère, ce n’est même pas sa mère ! »
Les autres ont porté le fer du côté de l’intention : oui il y a eu agression, oui elle visait un autre mais non, il n’a jamais été question de tuer. Même Me Bouaou s’est habilement placé sur ce terrain, lui dont le client, Adem Yahiaoui, nie pourtant toute implication.
M e Daquo avait prévenu : « Si on base son accusation sur les premières déclarations de Glodie en garde à vue, alors il faut en tirer toutes les conséquences ». Amar Boualou complète : « Or Glodie a dit dès le début que ses commanditaires, Yahiaoui et Panzu, lui avaient bien dit de ne pas frapper à la tête, de faire peur, de ne surtout pas tuer ». Conclusion de Me Diboundje : « On se trouve face à des violences aggravées. Si la peine est juste, elle pourra être comprise » . Evidemment, ça change tout. La peine encourue passe de perpétuité à 15 ans. Les jurés ont toute cette journée de jeudi pour résoudre cette équation à multiples inconnus.

La tentative de meurtre, a été sanctionnée par douze à quatre ans de prison. Le verdict a été accueilli dans la violence.Le procès s’est conclu dans le bruit et la fureur.

Sept habitants d’Etouvie ont été reconnus coupables d’une tentative de meurtre, commise en juin 2013 à l’encontre d’un homme confondu avec un autre, dans le cadre d’une guerre entre réseaux de drogue.Les peines : 12 ans contre Pedrito Panzu et Adem Yahiaoui ; 11 ans contre Grace et Glodie Ngoto ; 6 ans contre Sergio Tavares (mandat d’arrêt);5 ans dont 4 ferme contre José Lopes Martins;4 ans dont 18 mois ferme contre Jeancy Tsasa.Ce verdict a été accueilli par des insultes, de menaces et des échauffourées, dans le box et la salle d’audience.La foule des parents et amis est dense, hier vers 15 heures, dans la salle d’assises du palais de justice d’Amiens. Depuis 9 h 30, les six jurés et les trois magistrats professionnels délibèrent sur le sort de sept hommes âgés de 21 à 26 ans.

Quand le verdict tombe, la stupeur l’emporte d’abord. Il est vrai que la présidente Tortel entame sa liste par les frères Ngoto, qui ont reconnu l’agression de Hossain, le 26 juin 2013 dans son hall d’immeuble de l’allée Eugène-Varlin, au cœur d’Etouvie. Ils prennent 11 ans alors que le ministère public en avait requis 15.

On passe ensuite aux commanditaires: Adem Yahiaoui et Pedrito Panzu. Ils n’ont eu de cesse de clamer leur innocence, jusqu’au matin même de ce dernier acte. Douze ans! Le silence, cette fois, se brise. Des femmes pleurent, l’une s’évanouit. Dans le brouhaha, la présidente lit les peines infligées aux trois complices. Quand elle annonce que Jeancy ne retournera pas en prison, lui le guetteur, mais surtout l’accusé dont les aveux complets ont étayé (avec ceux de Glodie) l’accusation, la colère explose. Les accusés dans le box se lèvent, profèrent des insultes et des menaces à l’encontre de celui qu’ils désignent comme une «poucave» (une balance). La salle, aussi, se retourne contre le jeune homme, qui doit être exfiltré par la police.

Les condamnés quittent leur prison de plexiglas, moitié volontairement, moitié poussés par leur escorte, pendant que Mme Tortel tente d’énoncer les peines complémentaires. Une vingtaine de personnes se rue vers le coin du box. Les cris sont assourdissants. Une vitre est cassée. Ses débris, heureusement, tombent dans la cour et ne pourront servir d’arme. Une journaliste de France 3 est bousculée, on veut lui arracher sa caméra. Jurés et magistrats sont à leur tour évacués dans la zone opposée, à l’abri de la police, qui rétablit le calme sans paniquer.

Verdict subtil pour ne pas dire étrange

Il est enfin temps de se pencher sur ce subtil – pour ne pas dire étrange – verdict. La cour a donc écarté la préméditation. C’est pourquoi on se trouve face à une tentative de meurtre, et non d’assassinat. Pour autant, elle condamne les deux hommes dont le crime est d’avoir commandité l’agression. Mais qu’est-ce qu’un meurtre commandité, sinon un assassinat? C’est comme si – et plusieurs avocats confirment cette impression – les jurés avaient voulu dire que dans le secret du squat de la rue de Bretagne, une punition, et non un homicide, avait été préparée, mais qu’une fois dans le hall d’immeuble, c’est bien une tentative de meurtre qui avait été commise.

Voilà pour le droit. Mais il y a aussi l’impression, l’irrationnel, l’impalpable: cette impression déplorable qu’on parfois pu faire les accusés sur des jurés qui, les yeux écarquillés, découvraient le pire aspect de la vie d’un quartier. Les derniers mots d’Adem Yahiaoui, mardi soir, ces mots qui détruisent en deux minutes des journées de travail d’un avocat, n’ont pu que résonner dans l’oreile de ceux qui allaient le juger: «Ça me casse les couilles ce putain de procès de mes couilles! Sur le Coran! Sur La Mecque! Niquez vos mères!»

Fermez le ban.

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