JUSTICE
Buigny: la légitime défense profite à l’oncle tireur
par Tony Poulain
LES FAITS
Le 6 juillet 2018 à 2 heures, Kevin Vanthournout, alcoolisé, en compagnie de deux copains, se rend au domicile de son oncle Mickaël Bogner. Le jeune homme de 21 ans en veut à son oncle et sa tante par alliance. Il dégrade un volet, casse deux carreaux, dont les éclats touchent une fille du couple.
Mickaël Bogner, 41 ans, se saisit d’une carabine et tire sous le volet. Il touche mortellement Kevin.
Le 23 août 2019, Bogner est renvoyé devant les assises pour meurtre. Il fait appel. Le 7 janvier 2020, la chambre de l’instruction infirme cette décision, au nom de la légitime défense.
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L’année ne pouvait pas mieux commencer pour Mes Delphine et Jérôme Crépin. La chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Amiens vient en effet de leur donner raison dans le dossier Bogner, du nom de ce quadragénaire de Buigny-l’Abbé, dans le Ponthieu, accusé du meurtre de son neveu Kevin Vanthournout, le 6 juillet 2018.
Cette nuit-là, Kevin est fortement alcoolisé quand il se rend chez son oncle avec deux copains. Sa tante ferait courir le bruit qu’il est un violeur. Il veut une explication. Il profère des menaces de mort, dégrade le volet de la chambre à coucher, casse une vitre dont les éclats blessent une des deux filles du couple.
Le père de famille appelle les gendarmes (ils arriveront 26 minutes plus tard). Puis il se saisit d’une carabine, tire un coup à blanc, tente de persuader son neveu de cesser de poursuivre sa tentative d’effraction mais constate qu’il cherche toujours à pénétrer chez lui en soulevant le volet brisé. Enfin, Mickaël tire par cette ouverture et tue Kevin, lui-même père de deux enfants. Les plombs ont pénétré dans le poumon droit et déclenché une hémorragie massive.
Une décision rare
Même si sa femme tentera un instant de s’accuser du coup de feu, il ne fait aucun doute que Mickaël Bogner est l’artisan de la mort de son neveu. Tout le débat porte donc sur la notion de légitime défense, au sens de l’article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte » « Les juridictions sont très rétives à la retenir, surtout en matière d’homicide », constate Me Jérôme Crépin, qui a pourtant réussi à convaincre les magistrats amiénois.
« Pas d’autre solution »
Ces derniers, dans un arrêt d’une grande précision, énumèrent les arguments en faveur de la légitime défense : la tentative d’effraction, armé d’un objet contondant, d’un lieu habité en pleine nuit ; la riposte concomitante à l’effraction ; les menaces de mort « explicites et réitérées » proférées par Kevin, accompagné de deux complices ; l’appel très rapide aux gendarmes ; les avertissements adressés à la victime. Les juges constatent aussi l’absence d’intention homicide : Mickaël a tiré vers le bas, ne tuant Kevin que parce que celui-ci était accroupi pour arracher le volet.
« Mon client n’avait pas d’autre solution pour protéger sa famille, conclut Me Crépin. Il n’a tiré qu’en dernière extrémité. Il avait le choix entre se défendre ou mourir : il a agi comme tout citoyen raisonnable l’aurait fait ».
Vers un pourvoi en cassation
Mercredi, January 8, 2020 – 16:10
Avocat des parties civiles avec son confrère Stéphane Diboundje, Me Thomas Louette se dit « très surpris » par l’arrêt de la chambre de l’instruction et annonce son intention de se pourvoir en cassation (la cour de cassation vérifie qu’une décision est juste en droit, elle ne se prononce pas sur le fond). « Mes clients sont très déçus, ajoute l’avocat. Il y a quand même un homme qui est mort, tué à bout portant ! »