Sous couvert de laïcité, la Ville d’Amiens interdit tout couvre-chef chez ses agents

La Ville va adresser une note ce vendredi 6 octobre 2023 à tous ses agents leur rappelant leurs obligations en termes de laïcité après des signalements dans plusieurs écoles de la ville. Dans les services, des chefs vont plus loin en interdisant les turbans, bandanas, bandeaux et même les casquettes…

La Ville va adresser une note à tous ses agents leur rappelant leurs obligations en termes de laïcité après des signalements dans plusieurs écoles de la ville.
La Ville va adresser une note à tous ses agents leur rappelant leurs obligations en termes de laïcité après des signalements dans plusieurs écoles de la ville.
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Par Térézinha Dias Publié:5 Octobre 2023 à 19h23

Le sujet est sensible trois semaines après que le Conseil d’état a validé l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires publics.
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Fin septembre, plusieurs agents de la ville et de la Métropole ont reçu de nouvelles consignes leur interdisant de porter des couvre-chefs durant leur temps de travail. Cela concerne aussi bien les turbans que les bandeaux, les foulards, les bandanas ou même les casquettes. Il ne s’agit pas d’une note officielle adressée par la Ville d’Amiens mais de consignes émises par différents chefs de service aux agents via des mails que nous nous sommes procurés.

« Les turbans, bandanas, casquettes et bandeaux désormais interdits »

«  À l’occasion d’un échange avec Mme le Maire et la Direction générale, il a été rappelé à chacun de veiller au strict respect des consignes. Il a notamment été acté, pour éviter toute ambiguïté, de passer la consigne à tous les agents (titulaires, contractuels, vacataires) de ne plus rien porter sur la tête pendant le temps de travail (turban, bandana, foulard…). Aussi, je vous remercie dès aujourd’hui de vous assurer du respect de nos obligations. En cas de refus, les agents s’exposent à des sanctions  », indique ainsi l’un des courriers.

Des nouvelles règles qui auraient été actées après que la Ville a reçu plusieurs signalements de l’Inspection académique concernant le port de tenues à caractère religieux par des agents de la collectivité dans plusieurs établissements de la ville. «  Ces faits ont relancé le sujet des tenues, signes, et symboles religieux, et de notre obligation de neutralité et de laïcité  ».

« Qu’ils n’aillent pas sur ce terrain de la laïcité ! »

Il n’en fallait pas plus pour attiser la colère de plusieurs agents qui dénoncent aujourd’hui «  une véritable chasse aux sorcières  » qui viserait plus particulièrement des professionnels de la filière animation. «  Qu’ils n’aillent pas sur ce terrain de la laïcité car nous sommes des personnes très bien intégrées, nés sur le territoire français, et nous connaissons parfaitement nos obligations de neutralité et de laïcité en tant qu’agent de la fonction publique et respectons les lois de la République et ses valeurs  », fustige cet agent qui dénonce la pression et le harcèlement vécus depuis la mi-septembre par plusieurs de ses collègues. «  Certaines sont aujourd’hui en arrêt maladie et en très grande souffrance car elles ne supportent plus les menaces de sanctions qui pèsent sur elles et le fait d’être humiliée et stigmatisée alors que le turban qu’elles portent n’est qu’un simple accessoire de beauté, et non pas un signe religieux comme ils le décrètent aujourd’hui.  »

« Demain, on interdira aussi les tresses et les pinces dans les cheveux ? »

En coulisses, l’opposition s’est déjà saisie de l’affaire par la voix de Assia Nouaour, conseillère municipale d’opposition (sans étiquette), qui s’apprête à rédiger une tribune pour dénoncer ce qu’elle considère être une atteinte à la liberté des femmes de choisir leur style vestimentaire. «  On voudrait sanctionner ces femmes pour le simple fait que leur turban pourrait être considéré comme un signe religieux et être associé au voile. Or, cela n’a strictement rien à voir ! Le voile est interdit et il n’y a aucune ambiguïté sur le sujet car elles sont elles-mêmes attachées au principe de neutralité et de laïcité dans le service public. Elles le portent depuis toujours comme un accessoire de mode et comme on porte des boucles d’oreilles et du jour au lendemain, on leur demande de le retirer et de ne plus venir avec de casquette ni de bandana ni de bandeau. Qu’est-ce que ce sera demain ? L’interdiction des tresses ou des pinces dans les cheveux ?  », interroge l’élue qui, lors d’un entretien ce mercredi avec la maire d’Amiens sur ce sujet s’est présentée au rendez-vous avec… un turban rouge dans les cheveux.

Une action en justice ?

Avec quelques-unes des femmes concernées par le port du turban, l’élue Assia Nouaour n’exclut pas une action en justice si nécessaire, après avoir pris attache avec un avocat.À lire aussiAmiens: La campagne nationale Transport attitude lancée au collège Jean-Marc-Laurent

«  Pour nous, il s’agira simplement de rappeler le droit et rien que le droit. Le principe de neutralité et de laïcité qu’en aucun cas elles ne remettent en cause ici ne doit pas nous conduire à ce genre d’interdiction qui ne concerne qu’un simple accessoire de mode, et ne repose sur aucune base juridique. L’ambiguïté doit être du côté de celui qui la crée et non pas du côté de celui qui la subit  », estime Me Stéphane Diboundje, leur conseil.

« Une note sera adressée aux agents ce vendredi »

Du côté de la Direction générale des services d’Amiens Métropole, on confirme qu’une note sera adressée ce vendredi 6 octobre 2023 à l’ensemble des agents pour leur rappeler tous les principes et les devoirs qui les obligent en tant qu’agent de la fonction publique.

Elle confirme aussi qu’elle fait suite à des échanges avec la Préfecture et l’Inspection d’académie qui a demandé ce rappel à la loi suite à des signalements. «  Dans cette note, qui précise ce que nous avions déjà indiqué dans un premier texte datant de décembre 2021, nous ne faisons que leur rappeler les principes d’intervention dans le cadre de leurs missions de service public, et parmi ces principes, il y a celui de ne pas manifester ses croyances religieuses à travers le port d’un signe ou d’une quelconque tenue dans le cadre de leurs fonctions  », indique aussi la Direction, qui précise qu’elle n’a pas connaissance des mails envoyés par des chefs de service demandant à leurs agents de ne porter aucun couvre-chef.

Et pour ce qui est de la casquette et du bandeau ? «  Il n’y a pas de liste exhaustive de tous les objets et tenues qui pourraient être considérés comme un signe ostensible d’une croyance religieuse mais si cet objet ou cette tenue peut être interprété comme tel, alors il peut être demandé à l’agent de le retirer  ». Une déclaration ambiguë qui pourrait aussi nourrir des dérives en fonction des interprétations de chacun…

source courrier picard :https://www.courrier-picard.fr/id454977/article/2023-10-05/sous-couvert-de-laicite-la-ville-damiens-interdit-tout-couvre-chef-chez-ses