Je suis accusée d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’un étranger. Ces poursuites ont de graves répercussions sur ma vie personnelle et professionnelle.

Norhouda Spicher relaxée ! – Mise à jour de son avocat, Maître Stéphane Diboundje, le 10 octobre 2014

L’audience a duré six heures et demi, ce qui est exceptionnel pour un procès en correctionnel. C’était dû au fait qu’elle n’était pas la seule prévenue. L’ambiance était tendue mais Norhouda Spicher était venue avec beaucoup de soutiens et la salle était pleine.

J’avais pris des conclusions de relaxe, notamment en arguant que la loi du 31 décembre 2012 avait modifié le délit d’aide au séjour irrégulier qui n’est plus punissable, dès lors que celui qui aide agit à titre humanitaire et sans contrepartie. C’était le cas de ma cliente. Cet argument a été pris en compte par le Parquet qui avait lui-même requis la relaxe.

Il y a quand même eu un débat juridique, d’abord porté sur l’aide au séjour irrégulier et la rétroactivité de la loi pénale plus douve du 31 décembre 2012, ensuite pour le délit d’aide à l’entrée irrégulière d’un étranger en France qui n’a pas non plus été retenu par le tribunal.

Des poursuites pour raisons politiques

Maître Pascal Bibard, avec qui je plaidais, a lui développé l’aspect politique du dossier. Cette affaire faisait échos à une autre où Norhouda Spicher avait été poursuivie pour fraude à la CAF et relaxée. Ces deux histoires étaient tombées à une semaine l’une de l’autre, dans un contexte politique particulier – entre les élections présidentielles et législatives. Norhouda Spicher était adjointe au maire : on pense que certains ont voulu s’en prendre à elle pour ennuyer le maire.

Pour nous, les avocats, ça a été un long combat : ça a duré plus de deux ans et demi en tout. Lors de l’audience, j’ai évidemment déploré que les magistrats en charge du dossier n’aient pas été capables d’ordonner un non-lieu. Le juge d’instruction est censé instruire à charge et à décharge et, quand il y a un élément de la nature de cette nouvelle loi, il ne peut pas l’ignorer.

De réelles conséquences professionnelles

Notre argumentaire a été reçu par la juridiction. Norhouda Spicher a été relaxée et on peut considérer cette décision comme définitive. Elle a donc été poursuivie deux fois et innocentée deux fois. Elle est contente et soulagée : ça devrait être la fin de ses ennuis judiciaires puisqu’il n’y a plus de procédure en cours.

Mais ces deux histoires ont marqué sa vie : elle était élue locale et elle a été démise de ses fonctions, par retrait de ses délégations, lorsqu’elle a été mise en examen. La présomption d’innocence n’a pas été respectée, mais il est vrai le temps politico-médiatique n’est pas le même que le temps judiciaire… Bien qu’elle soit aujourd’hui relaxée, elle n’a pas pu se représenter lors des récentes élections municipales car l’affaire était encore en cours à ce moment-là. Elle n’est donc plus adjointe au maire, ce qui est malheureux car, dans ses fonctions électives, elle n’a jamais démérité.

Propos recueillis par Marine Périn

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Retrouvez la Vérité de Norhouda Spicher

Adjointe en mairie d’Abbeville à la délégation « Jeunesse et quartiers », je me suis retrouvée mise en examen pour aide à l’entrée et séjour irrégulier d’un étranger en situation irrégulière.

Comment votre ami est-il arrivé en France ?

Quand mon frère a téléphoné pour me dire que mon ami allait venir en France, j’étais simplement heureuse qu’il vienne nous voir. Je suis allée en mairie pour faire une attestation d’accueil. On m’a demandé tout un dossier, je l’ai rempli et j’ai récupéré l’attestation qui a été validée par le maire ou le cabinet du maire, c’était donc une attestation conforme. Cependant, elle n’a jamais servi à mon ami, qui a obtenu un visa par ses propres moyens.

Quand le jour J est arrivé, mon neveu et moi sommes partis à l’aéroport d’Orly chercher mon frère et mon ami. Quand je l’ai vu, j’étais simplement très heureuse. A ce moment, je me suis simplement dit que c’était bien qu’il soit en France. Je ne suis pas policier, ce n’est pas à moi de faire des recherches pour savoir s’il est en situation régulière. De toute façon, s’il est passé à l’aéroport d’Orly, c’est qu’il était en règle.

Dans quelles conditions l’avez-vous hébergé ?

Un jour, je l’ai trouvé en train de zoner. Je lui ai demandé ce qu’il faisait et il m’a répondu qu’il attendait mon frère pour rentrer chez ce dernier. Je l’ai donc invité à dormir chez moi. On lui a proposé le repas, de prendre une douche. C’était la première nuit qu’il passait vraiment chez moi, même si on se voyait souvent pour se promener, aller acheter des vêtements à la brocante, faire les courses. Au même moment, mon cousin devait venir d’Algérie. J’ai donc insisté pour qu’il reste une nuit de plus pour le voir et discuter du bled. Il est donc resté deux nuits en tout.

Que vous a-t-on reproché ensuite ?

Un beau jour, on est venus me chercher à six heures du matin et on m’a mise en garde à vue. Ça a été la descente aux enfers, c’était la première fois de ma vie que je me retrouvais dans cette situation. Je ne souhaite à personne de connaître ça : la garde à vue, c’est terrible, terrifiant. J’ai passé 48 heures là-bas, j’ai dormi dans un cachot à Hallencourt. C’était terrible, j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre.

Finalement, on m’a reproché l’aide à l’entrée et à la circulation d’un être humain, d’une personne. Je ne comprenais pas. Et j’avoue qu’encore aujourd’hui, je ne comprends pas vraiment ce que j’ai fait. J’ai aidé quelqu’un que je connais depuis plus de trente ans. Je lui tends la main, il était dehors, je l’amène chez moi. Bien sûr que je lui offre le gite, le couvert : je l’ai même dit à la gendarmerie !

Ces poursuites ont-elles eu des conséquences sur votre carrière ?

Il y a eu des retombées professionnelles que j’ai très mal vécues. J’avais postulé à différents organismes pour lesquels j’avais été retenue. Mais, suite à cette mise en examen, on m’a dit qu’on ne pouvait pas retenir ma candidature. Financièrement, ça a aussi été le cauchemar. Malgré tout, je continue à tendre la main aux autres.

Qu’espérez-vous du procès ?

J’ai confiance en la justice de mon pays : j’espère vraiment être innocentée et lavée de tout soupçon. J’ai quand même été salie, humiliée. J’en ai souffert et c’est aussi le cas de mon mari, de mes enfants et de ma famille. Il m’est arrivé de dire bonjour à des personnes que je connaissais et qui me regardaient sans me répondre. A l’inverse, j’ai eu beaucoup de soutien : on a donc créé un comité de soutien qui comprend aujourd’hui mille adhérents. Je suis contente, je me dis que tout le monde ne croit pas tout et n’importe quoi. Aujourd’hui, je n’ai qu’une hâte : arriver au jugement pour prouver que je suis innocente.

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Le point sur la base légale des poursuites avec Stéphane Diboundje, avocat de Norhouda Spicher

Je pense que les poursuites diligentées à l’égard de ma cliente n’ont plus lieu d’être en raison d’une modification de la loi. Le 28 septembre 2012, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, a présenté en Conseil des Ministres un projet de loi visant notamment à supprimer le délit de solidarité.

Le délit de solidarité peut être le fait d’héberger un étranger en situation irrégulière, de lui offrir le gite et le couvert, pendant un certain nombre de nuits, à titre humanitaire et de manière désintéressée. A l’époque, c’était réprimé mais, depuis la loi du 31 décembre 2012, ce n’est plus un délit dès lors qu’il n’y a pas eu de contrepartie pour la personne qui héberge. En gros, une personne qui le fait de manière désintéressée, sans être rémunérée par exemple, ne doit pas être poursuivie.

Dans ce dossier, au terme de cette instruction, et même s’ils ont décidé le renvoi devant le tribunal correctionnel, à aucun moment il n’a été évoqué que ma cliente ait pu bénéficier d’une contrepartie. C’est-à-dire que l’on n’a pas examiné les conditions au regard de la nouvelle loi pour déterminer l’innocence de ma cliente et ça fera l’objet d’un débat judiciaire devant le tribunal correctionnel le 7 octobre 2014.

J’imagine qu’on tiendra compte de la suppression du délit de solidarité et du fait qu’il manque désormais un élément légal à l’infraction qui est reprochée à Mme RAHOUADJ. Sans base légale, je ne comprends pas comment ma cliente pourrait être condamnée. De toute façon, j’ai d’autres arguments juridiques à faire valoir  tel que notamment le défaut d’élément moral de l’infraction et tout comme ma cliente j’ai confiance dans la justice de mon pays.

Propos recueillis par Marine Périn

Source Ma Vérité sur