Début de procès troublant, ce jeudi à la cour d’assises du Pas-de-Calais, à Saint-Omer. Six accusés dans le box, une victime dans la salle, brûlée en 2009 dans l’incendie du camion qu’elle habitait, et un sentiment de grande confusion, à l’issue de cette première journée. Les méchants seraient-ils aussi victimes ?

Le procès doit durer six jours, les deux premiers étant consacrés au décryptage des personnalités des accusés. Dans le box, la fille du groupe, J. S., est la première à se lever. Son apparence soignée tranche avec la rougeur de ses yeux. À la barre, les experts et les proches défilent pour parler d’elle. L’année des faits, elle avait 29 ans. Après plusieurs mois de vie commune, elle venait de se séparer de la victime.

« S’il ne s’était pas passé ça, ce soir-là, c’est ma copine qui serait morte. Je serais allée à un enterrement, et pas au tribunal. » Une amie de l’accusée se lâche : « Quand je vais sortir d’ici, je vais me retourner dans la rue pour vérifier que je ne suis pas suivie. J’avoue qu’en venant, j’espérais qu’il ne soit pas là. » Elle raconte comment, en 2009, elle a bien cru ne plus jamais la revoir, et elle n’est pas la seule à livrer un tel récit. En février, J. S. disparaît. Partie avec son compagnon, sur les routes de France et de Navarre à bord d’un camion aménagé. Elle ne donne plus de nouvelles. « Dès que leur histoire a débuté , on a commencé à ne plus la voir. Il lui cassait son téléphone pour qu’elle ne nous contacte pas. » En juin, elle est récupérée sur une autoroute. Son conjoint l’y a jetée, avec le chien. Elle souffre de brûlures à la tête et au dos. Cet épisode de violences conjugales est loin d’être un acte isolé. « Lors d’une soirée, il lui a craché au visage, a jeté un mégot dans son verre, lui a pissé dessus. »

Elle repart avec lui tout l’été. En septembre, c’est le retour. Mais elle veut mettre fin à leur histoire. Un jour, elle retourne chercher des affaires dans le camion, que le jeune homme continue d’occuper. Et veut s’expliquer. Mais une autre amie fait intervenir la police. « Son téléphone était coupé, elle m’avait dit de les prévenir si c’était le cas. Je savais qu’elle était séquestrée et en danger. »

Six ans plus tard, la principale intéressée fond en larmes en évoquant le sujet. « Aujourd’hui, j’ai conscience d’avoir été une femme battue. »

L’ex protecteur qui n’a pas le « profil »

Costume foncé et chemise blanche, A. B., 36 ans, s’exprime avec un vocabulaire très précis. Un jeune homme bien sous tous rapports, de bonne famille, apprécié de tous, décrit comme «gentil », « serviable », « protecteur », « jamais violent ». Il n’a pas le « profil », comme dirait l’un de ses deux avocats, Me Stéphane Diboundje. Comme les autres hommes dans le box, il est originaire d’Amiens. Il reconnaît les faits, mais pas d’avoir aspergé la victime d’essence. Mais il est bien désigné comme le principal auteur de l’incendie.

Tremblante, embarrassée, émouvante, sa compagne actuelle, qui travaille dans l’enseignement, est apparue à la barre, ce jeudi après-midi, pour insister sur la sincérité de son conjoint : il lui a parlé du drame dès leur deuxième rendez-vous. C’était en 2012. « J’ai senti un décalage entre le récit et la personnalité. »

Pourquoi a-t-il accepté de participer à cette expédition, ce soir-là ? « Je pense qu’il se sentait redevable de quelque chose envers J. S., estime son beau-père. Il avait pu reprendre ses études grâce à elle. » Et l’aimait-il encore ? Dans tous les cas, un lien affectif restait fort. « Il aura voulu la protéger, il ne supportait pas la violence qu’elle subissait », diront beaucoup de témoins. Et ce qui apparaît aussi, c’est que leur histoire aurait pu durer bien plus de sept ans si la jeune femme n’avait pas rencontré de gros problèmes d’alcoolisme.