JUSTICE

Ils découvrent leur mère morte à la télévision: six ans après, le dossier n’a pas bougé

Les corps avaient été floutés, mais les détails ont fait que les plaignants ont tout de suite reconnu leurs proches.

Les corps avaient été floutés, mais les détails ont fait que les plaignants ont tout de suite reconnu leurs proches

Si c’était nous, ça fait longtemps qu’ils seraient venus nous chercher ! » Sébastien Léon, 42 ans, ne décolère pas. Il vient d’apprendre que six ans après qu’il a déposé plainte, avec ses cinq frères, tout recommence à zéro. Ou presque. En janvier 2012, nous expliquions dans nos colonnes comment cette fratrie, de même que d’autres familles de la Somme, avaient été choquées de découvrir le corps de proches à la télévision.

L’émission «Quartier général », diffusée sur la chaîne qui s’appelait encore Direct 8, émet un reportage intitulé «Les médecins légistes font l’enquête ». Il s’agit d’expliquer aux téléspectateurs les rouages de ce métier, de les suivre au quotidien dans leur travail. Pour ce reportage, l’équipe de tournage a reçu toutes les autorisations nécessaires auprès des autorités. Le problème est qu’il semble que personne ne soit soucié des familles des personnes décédées. Aucune autorisation ne leur a été demandée pour que la journaliste entre dans le domicile de cette dame, décédée de mort naturelle dans sa chambre, le 6 juin2011, à 60 ans à Ignaucourt (Somme). Pire, les frères affirment que le médecin légiste a fait passer la journaliste pour son assistante le jour des faits. Tandis que le corps de la défunte était expertisée, et surtout filmée, les proches, eux, avaient interdiction d’approcher de la chambre où la scène se passait.

À la télévision, malgré les floutages, les frères avaient aisément reconnu, avec les détails, le corps de leur mère. Ça avait été le choc. Et ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Une femme avait reconnu le corps de son père, décédé après que son tracteur s’est retourné dans un bois sur le secteur d’Airaines. Une autre famille avait été choquée en découvrant la scène de pendaison de leur proche, à Boves.

«Je n’exclus pas d’engager la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement »

Après les plaintes, le parquet avait décidé de ne pas poursuivre. Une plainte auprès du doyen des juges d’instruction avait alors eu lieu, et une information judiciaire avait été ouverte. Les plaignants avaient demandé des actes d’enquête, comme des confrontations, mais ils n’ont rien vu venir. Finalement, presque six ans plus tard, les frères Léon viennent d’apprendre que l’instruction de leur affaire ne sera pas faite à Amiens.

« En raison des liens professionnels réguliers existant entre les médecins légistes du CHU Nord Amiens et les magistrats instructeurs du tribunal de grande instance d’Amiens, la réalisation d’actes d’instruction de quelque nature qu’ils soient seraient susceptibles d’affecter la qualité des relations professionnelles entretenues avec le service de médecine légale », argumente le parquet d’Amiens. Le parquet général, à qui a été transmise cette demande de délocalisation, valide. Ce sera la cour de cassation qui décidera de l’endroit où l’affaire sera examinée. On savait l’affaire sensible à Amiens, on ne pouvait imaginer qu’il eut fallu autant de temps pour prendre cette décision.

Du côté des frères Léon, c’est l’incompréhension, avec cette impression que la justice n’est pas la même pour tout le monde. « Je suis outré  ! », réagit Sébastien Léon. L’avocat des familles, Me Stéphane Diboundje, parle d’un dossier qui « traîne anormalement ». Même si le fond n’est pas encore abordé, il pense ne pas en rester là sur la forme : « Je n’exclus pas d’engager la responsabilité de l État pour dysfonctionnement du service public de la justice sur le fondement du déni de justice d une part et du délai non raisonnable de la procédure d’autre part ».

GAUTIER LECARDONNEL

 

http://source courrier picard http://www.courrier-picard.fr/76581/article/2017-12-09/ils-decouvrent-leur-mere-morte-la-television-six-ans-apres-le-dossier-na-pas