Péronne : un couple de propriétaires d’immeubles à la barre, bons samaritains ou Thénardier ?
Jeudi 3 juillet 2025, de la prison ferme a été requise à l’encontre des époux Skrzypczak, pour avoir soumis leurs locataires à des conditions d’hébergement indignes. Le jugement sera rendu le 11 juillet.


Par Tony Poulain
Journaliste au Courrier picard Publié:4 Juillet 2025 à 11h19 :
Les semaines se suivent et se ressemblent au tribunal judiciaire d’Amiens. Le 25 juin, il condamnait un habitant de Rue pour avoir loué des logements à des personnes faibles malgré des arrêtés d’insalubrité. Ce jeudi 3 juillet, il jugeait un couple propriétaire de cinq immeubles à Péronne (rues Saint-Fursy, du Collège, Dhaussy, Saint-Sauveur, de la Résistance), pour une vingtaine de locataires eux aussi pour partie en difficultés sociales et médicales (tutelles, curatelles, handicaps physiques ou psychiatriques…) La procureure parle de « cour des miracles ».
De multiples avertissements
Là encore, il est question de graves carences : électricité dangereuse, humidité, trous dans le mur, garde-corps absents ou défaillants, moisissures, surchauffe des radiateurs, chambre exiguë et sans fenêtre. Et des rats ! Ces rongeurs sont d’ailleurs à l’origine de toute la procédure, quand la première adjointe au maire de Péronne en personne, fraîchement élue, a constaté leur présence active dans un logement de la rue Saint-Fursy, en 2021. Un arrêté de mise en sécurité est pris. Selon l’accusation, il ne sera jamais mis en œuvre. Un avis est envoyé en février 2024. Faute de réponse, selon la préfecture, elle est contrainte de prendre un arrêté d’insalubrité en avril, sur la base d’un rapport fouillé de l’Agence régionale de Santé (ARS). L’affaire est évoquée par le Courrier picard, auprès de qui le propriétaire Stéphane Skrzypczak contre-attaque le 17 juin. Il admet avoir 13 arrêtés en cours sur son parc immobilier, mais se présente comme un bon samaritain et surtout la victime d’une cabale.
Un an plus tard, son discours n’a pas vraiment changé. Tour à tour agressif ou nonchalant, cet homme de 56 ans qui se dit sans emploi finit par agacer la présidente quand il lui répond évasivement, une main dans une poche, l’autre bras posé sur la barre, façon coin de comptoir : « Monsieur, pour la troisième fois, tenez-vous droit et répondez à mes questions ! »
« Victime d’acharnement »
Il le redit, il est « victime d’un acharnement de la mairie » et plus particulièrement de l’adjointe « parce qu’elle me considère comme un opposant politique ». « Tiens, vous aviez dit que c’était parce que vous aviez refusé ses avances ? » s’amuse une avocate de partie civile. « Aussi ! » répond le prévenu. Une autre avocate le titille : « Vous n’allez quand même pas dire qu’elle a manipulé l’administration et la justice ? » Stéphane ne se démonte pas : « Je sais qu’elle était très proche d’une procureure… » Son conseil Me Diboundje abonde en son sens : « Cette dame est chargée de mission à la Direction des Territoires et administratrice aux HLM. Elle s’acharne sur un opposant politique, elle fait deux poids deux mesures (NDLR : des photos d’immeubles aussi vétustes mais dont les propriétaires jouissent d’une paix royale le prouvent selon lui). D’ailleurs, elle a été écartée de ce dossier », croit-il savoir.
Skrzypczak multiplie les punchlines : « On ne visite jamais un immeuble avant d’acheter. C’est une question de temps et d’efficacité » ; « Ma femme ne s’occupe pas des logements, c’est un hobby personnel » ; « Je ne savais pas qu’il fallait remettre des quittances de loyer tous les mois ». Ses locataires sont « victimes du syndrome de Diogène ». Un autre, il l’a « sorti de la rue ». La femme qui avait dû partager son assiette avec un rat (« Elle n’a qu’à pas laisser traîner de la nourriture »), il l’aime bien : « Je lui offre même un café quand je la croise sur le marché ».
L’épouse n’est au courant de rien
Blandine, l’épouse, 50 ans, écoute cette logorrhée d’un air absent. À part toucher les loyers, elle n’aurait aucune part à ce business – « C’est mon mari qui s’occupe de tout ça » – dont elle ne connaît même pas les éventuels bénéfices : « C’est mon mari qui s’occupe des comptes ». Foi de… « secrétaire comptable » !
Les parties civiles sont autant de procureurs : « Vous avez l’art de prendre la tangente » (Me Quesnel) ; « Vous profitez de pauvres gens dans le plus grand dénuement » (Me Lefèvre) ; « Vous vous croyez au-dessus des lois » (Me Abdelkrim) ; « Quand on voit votre bagout à l’audience, on imagine comment vous impressionniez des personnes vulnérables, incapables de se reloger ailleurs » (Me Amélie Dathy). La procureure enfonce le clou : « Le bon samaritain n’est qu’un marchand de sommeil. La vérité, c’est que vous faites peur à vos locataires ». Elle requiert deux ans dont un ferme contre la femme, trois ans dont un ferme contre le mari, 10 000 euros d’amende chacun et la confiscation de deux immeubles.
« Quand on voit votre bagout à l’audience, on imagine comment vous impressionniez des personnes vulnérables, incapables de se reloger ailleurs »
Me Amélie Dathy, Avocate de partie civile
Me Anaïs Gallanti, pour madame, fait remarquer que l’un au moins des immeubles ne lui appartient même pas (il serait la copropriété de monsieur et de son frère). Me Diboundje rappelle qu’une peine ferme, en droit, doit être « un dernier recours » et s’étonne qu’elle fût réclamée à l’encontre de prévenus au casier vierge.
Le jugement est mis en délibéré au 11 juillet.
Source courrier picard: https://www.courrier-picard.fr/id643569/article/2025-07-04/peronne-un-couple-